Adossée à un lampadaire, j'attendais patiemment Eléonore. Elle était encore en train de se préparer, et nous devions faire route ensemble. Comme à mon habitude, mon borsalino noir ne quittait pas mes cheveux, courts et en bataille. Comme les émissions météorologiques avaient annoncés des températures chaudes, je n'avais pas revêtu de veste. Je portais simplement une chemise à rayures noires et mauves. Pour le bas, un slim noir. Tout ceci acheté chez Jules, évidemment.
Et pourtant, je m'appelais Elsa.
Oui, j'étais une fille. Mais mon corps était plus proche de celui d'un adolescent. Je n'avais pas de poitrine, mon ventre était plat, mes fesses pas très imposantes et mes jambes venaient compléter l'ensemble. Oui, j'avais l'allure d'une personne du sexe masculin. Alors, je me plaisais à cultiver cette apparence. J'achetais mes vêtements dans des magasins destinés à la gentes masculine, et je veillais à garder les cheveux courts. Les jeunes filles se leurraient d'ailleurs, souvent. Elles me regardaient, me souriaient. Elles semblaient me trouver à leur goût. Et moi, moi je riais. Intérieurement, évidemment. Mais j'esquissais de large en sourire en pensant au fait que, non, elles ne m'intéressaient pas. Et j'imaginais, si un jour j'entrais dans le jeu. J'imaginais juste un instant l'air dépité de celle qui oserait venir me demander mon identité.
Enfin, El' fît son apparition.
Je me redressais alors et me saisissais de mon sac, qui avait jusqu'alors attendu patiemment au contact du bitume. D'un geste, je l'amenais sur mon épaule, et adressais un immense sourire à mon amie. Je m'approchais peu à peu d'elle, mon sourire se dégradant avant de n'être plus qu'un modeste souvenir.
J'avais reconnu à son expression qu'elle allait m'annoncer une mauvaise nouvelle. Mais... Laquelle ? Mauvaise, pour moi, ou pour elle ?
La seule certitude que je pouvais avoir, était qu'elle n'était pas très enjouée de me l'annoncer. Elle marchait assez lentement, et son regard tentait d'éviter le mien. Ses deux mains étaient jointes, et elle nouait et déliait tour à tour ses doigts.
Remords ?
Je prenais alors un regard sévère, espérant tout de même que le sujet n'étais pas trop délicat. Nous nous arrêtions enfin, face à face. Elle levait un visage hésitant vers moi, et m'annonçait d'une voix emplie de regrets : "Je... Je suis désolée... Je ne peux pas sortir, ce soir."
D'une voix froide, je lui demandais alors la raison pour laquelle elle se décommandait. Elle me balbutia une phrase incompréhensible avant de s'éloigner.
Je n'osais pas lui demander de répéter.
J’espérais simplement avoir des explications un peu plus tard et m'asseyait au bor du trottoir. Qu'allais-je faire ?
Rentrer chez moi.
Je n'étais pas d'humeur à errer seule. Et Eléonore était bien la seule à m'apprécier. Apparemment, les garçons manqués n'étaient pas appréciés de tout le monde.
Mais... Mon esprit me soufflait de ne pas rentrer immédiatement... Alors, je restais là.
Je ne savais que faire... Alors je pensais... El' avait-elle des problèmes ? Elle ne se serait pas mise dans un tel état, simplement parce-qu'elle ne pouvait venir... Non, non, ce n'était pas son genre. Je la connaissais bien... Peut-être trop bien... Un sourire était toujours inscrit sur ses lèvres, même dans les situations les plus délicates. Elle parvenait à voir le bon côté des choses à n'importe quel instant de la vie.
Que faire ? Me rendre chez elle ? Non... S'il s'agissait de problèmes familiaux, j'aurais été de trop...
Et pourtant... S'il lui arrivait quelque-chose, je m'en voudrais de ne pas être intervenue...
Il ne pouvait s'agir que de ça ! Car Éléonore ne s'intéressait pas aux garçons, elle me l'avait déjà répété. Les histoires d'amours, très peu pour elle. Alors, que se passait-il ? Un décès ? Son père n'était pas quelqu'un de violent... Non, ses parents étaient des gens très bien... Certes, ils avaient les moyens d'habiter un quartier chic, mais ils étaient très généreux et loin de cacher leurs pensées... Des gens francs...
Je pestais à voix basse : "Merde, El', Merde ! T'aurais au moins pu m'expliquer !"
